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    Grandir chez les Frangins

    L’air du temps m’est bien souvent irrespirable. Soufflant d’un bord puis de l’autre, il est tout au plus utile aux girouettes qui redoutent la rouille sur leur axe de rotation. L’air du temps, donc, voudrait que les religieux catholiques fussent tous au mieux de sales cons, au pire, de redoutables pervers sexuels hautement condamnables. N’écoutant que la voix de l’objectivité, et convoquant mes souvenirs authentiques, je m’en vais vous témoigner de ma propre expérience, qui souffle le vent d’une pointe de nuance personnelle.

    Pour en finir avec les préambules, et parce que j'ai grandi, lu beaucoup depuis au point de devenir un vieux con, est-il nécessaire de vous préciser que pour moi, le ciel est maintenant désespérément vide. Un vide intersidéral, tout au plus traversé de toutes parts de rayons cosmiques radioactifs autant que mortels. Et que je conchie les prosélytes de tous poils, religieux comme politiques.

    Quoique né peu après les événements de 1968, je fus élevé chez les Frères Lassaliens de Ploërmel, au fin fond d’une Bretagne toujours réfractaire aux vents d’Est. J’y ai fréquenté des classes non-mixtes très tard, ce qui, soit dit en passant, ajouta au plaisir de la découverte du beau sexe.

    J’y ai vécu une scolarité joyeuse, encadrée de véritables humanistes qui déployaient des vivariums incroyables dans les classes primaires : les frangins. Qui peut imaginer aujourd’hui, dans notre Education Nationale aseptisée, organiser en classe de CM2, une chasse aux vipères nuitamment échappées de leur bocal ? Qui sait le plaisir qu’éprouve un gamin de 10 ans, de découvrir la magie d’un œuf qui se transforme en têtard, puis en grenouille, le tout en quelques semaines aux alentours des vacances de Pâques dans un aquarium glauque près du radiateur ? Où enseigne-t-on aujourd’hui en collège, le nom des arbres et des oiseaux des champs ? Qui peut imaginer un élevage de paramécies à l’air libre d’une classe et au mépris de toutes les directives d’hygiène parisiennes ?

    La mesure du temps de l’internat était battue avec rigueur. Nos derrières aussi, parfois, car les frangins étaient des gaillards robustes qui savaient jouer d'arguments percutants. Qui ne s’est jamais protégé des projections de brosses à tableau noir derrière le battant de son bureau ne sait pas de quoi je parle. Qui n’a jamais ressenti dans son fondement, le pied armé de la coercition, peut juste l’imaginer.

    Nous étions serrés de près, ce qui mettait du piquant à nos exactions héroïques. Notre fait de guerre le plus épique ne fut-il pas d’uriner confraternellement dans la barrique de cidre de la fête paroissiale, puis d’étouffer de rire toute la fête durant devant la buvette ? Moins noble, mais plus audacieux, faire frire un crapaud vif dans le feu de camp fut considéré à juste titre par nos directeurs de conscience, comme un crime digne de l’enfer, ce qui ne manquait pas de nous atteindre dans nos petits cœurs contrits.

    Cette race de religieux vigoureux, bien que consacrée à l’éducation des jeunes pousses sauvages du pays de l’Argoat, ne dédaignait pas les plaisirs terrestres. Et, entravés par leur vœu de chasteté, s’adonnaient avec délectation aux joies de la table. Ils y communiaient sous les deux espèces. A vrai dire pour certains, surtout sous la forme liquide. D’où un certain nombre de surnoms en vogue comme « Fraise des bois » ou encore « Paul nord », le premier évoquant l’appendice nasal caractéristique de l’amateur appuyé de la dive bouteille, l’autre, le recours à la boussole pour rentrer au bercail, certains soirs…

    Le plus marquant pour moi fut sans conteste, l’obligation faite à tous, de pratiquer un sport. Certains de nos Frangins ne rejoignaient-ils pas eux-mêmes Lourdes à vélo chaque été ? Cette ordonnance frappait durement les premiers de la classe dont j’étais alors. Et quiconque mettait en œuvre une stratégie de contournement se plaçait de facto sous la menace de la coercition ci-dessus évoquée. Le choix était simple et sans alternative possible : football ou cross, sous peine des pires tourments.

    J’ai toujours été assez endurant en course à pieds. Ne cherchez pas ailleurs ma désormais éternelle aversion pour le football, ni mon besoin vital de courir et de pédaler, toujours.


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