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    Inapte à la danse

    Je sais pas vous, mais moi, la danse, ça me gonfle. Je suis de ceux qui en soirée restent à table quand tous se lèvent pour frétiller en rythme dès que le crétin de service monte le son. Si une joyeuse s’approche me tirant le bras, fut-elle extrêmement jolie, je me fais prier. Et si je me laisse convaincre ou qu’on me pousse malgré tout sur le dancefloor, je deviens emprunté et grotesque. J’entends bien le rythme, mais rien n’y fait : je me trémousse sur un tempo différent si bien que je suis vite comique. Il arrive même – oserais-je vous l’avouer – que pour supporter ce ridicule, je boive un verre de plus, ce qui n’est vraiment pas dans ma nature.

    Le ridicule des danses de salon, l’obscénité du tango, l’affligeant onanisme du gogo-gitage en boite… rien en matière de danse ne peut trouver grâce à mes yeux. Le hip-hop… à la rigueur…

    J’ai essayé plein de choses pour me soigner, parmi lesquelles en premier chef, j’ai épousé une danseuse. Une vraie. Une brevetée au conservatoire, qui a écumé Bastoche dans sa folle jeunesse et qui enrhume encore les soirées quand elle se déchaine. Elle m’a sorti. On est allé voir des trucs ensemble. Las ! Expériences jalonnées de souvenirs cuisants : Un endormissement chez les Nijinska & Nijinsky, une menace d’éviction pour froissements répétés d’emballages de biscuits au Lac des Cygnes, un frôlement de rixe chez Madame Bausch… Non, vraiment. Définitivement pas pour moi.

    Je ne suis pourtant pas un rustre. Je pratique le piano depuis petit. Bon d’accord, je travaille très peu. Mais j’ai de beaux restes ! Et puis comme ténor, j’ai fait partie d’un ensemble qui s’est produit à la Madeleine, à l’Oratoire du Louvre et dans diverses petites salles parisiennes. Sans me vanter, j’ai donc quelques petites notions en matière musicale… Un goût prononcé pour le baroque que je consomme sans modération toute l’année et sous toutes ses formes.

    Mais la danse… rien à faire.

    Inapte.

    Pourtant, pourtant… Quand un « an dro » ou une gavotte m’appelle, je réponds présent parmi les premiers. Que le sonneur étrenne ses premiers ornements pour se mettre en bouche et votre serviteur est debout, au milieu du champ, parmi les autres inconditionnels. Jamais pris de leçons, ni moins de conseils en la matière. Mais saisissant l’auriculaire de mes voisins, je m'unis à la chaine qui se forme bientôt. En trois mesures, le pas est mémorisé. En six, il est au point. Alors débute un vrai moment de communion dans un presque corps-à-corps avec les autres que l’on tient fragiles, par le doigt le plus faible. Les morceaux s’enchainent. Les sonneurs transpirent autant que les danseurs. Simplement heureux, ensemble, dans le noir. Enivrés par la transe.

    Là. Seulement là. Je goute la danse.


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