• Le passe-montagne

    Je sais pas vous mais moi, les célébrations du centenaire de 14-18, ça me secoue le fondement. Je me rappelle Dorgelès, Remarque et Genevoix notamment. Et de la douillette époque qui me couve de ses sucreries virtuelles, de ses problèmes artificiels autant que purement cérébraux, il me revient les récits de ces boucheries innommables.

    Je sais pas si vous avez remarqué en particulier l’abracadabrante merdicité des équipements avec lesquels ils filaient au casse-pipe, les mômes d’alors. Tenez, ne serait-ce que l’enroulement des bandes molletières sur des croquenots à clous en cuir épais et trop raide. Ou encore la capote rêche durcie à la glaise et le harnachement par-dessus l’ensemble, de tout un fatras bringuebalant comme sur les images d’époque. N’y avait-il pas là préméditation à les laisser patauger lourdement et durablement dans la glèbe en leur laissant bien le temps de se remplir les bronches de gaz moutarde ou de se les calfater au mauvais bitume de tabac réglementaire ?

    L’autrefois était plein d’équipements mal pensés et de mauvaises habitudes qu’on ne remettait pas en question.

    Tenez. J’y pense, comme le passe-montagne dont me fit cadeau ma Tante Désirée pour mes 9 ans. Il fut une époque en effet où les gamins pouvaient être affublés l’hiver, de cet horrible accessoire de protection contre les affections ORL infantiles.

    Le passe-montagne, apprenez-le, était une sorte de cagoule très prisée pendant la guerre 14 et dont l'usage perdura bien au-delà. Il était doté d’une visière cartonnée. Genre visière de cycliste, mais couverte d’un tricot. Car le passe-montagne était tricoté. Nous y reviendrons. Constitué d’un cylindre en points de côtes qui recouvrait depuis le cou assez bas jusqu’au-dessus du menton, il ménageait une fenêtre comme sur une cagoule classique, laissant juste apparaître bouche, nez et yeux. Une visière donc bas sur le front et puis un cône pour couvrir le crâne, qui se terminait en pointe avec un bouton de laine sphérique au sommet. Le passe-montagne se portait la plupart du temps le cylindre d’encolure relevé sur le crane, de telle sorte qu’il ressemblait à une casquette. Une casquette, si vous avez bien suivi, qui offrait de ceinturer la tête et les oreilles d’une triple épaisseur de laine. C’était là tout l’intérêt de l’objet : avoir chaud par temps froid !

    La laine en triple épaisseur justement, parlons-en… En fait de laine, il m’a toujours semblé que le mien de passe-montagne, était fait de poils de chameau. Ou de hérisson. A cause de la couleur, ou plutôt en raison de l’extraordinaire pouvoir démangeant de la matière. Deux-trois minutes suffisaient – en conditions de transpiration normale – pour éprouver comme les effets d’un assaut de poux du désert sur le cuir chevelu, comme l’attaque d’un prurit foudroyant derrière les oreilles, d’une armée de fourmis rouges sur l'occiput. Aussi, mes nombreuses tentatives pour honorer le présent de ma Tante se soldèrent par une irritation au troisième degré consécutive à un grattage effréné ordonné par un réflexe reptilien irrépressible… et puis par un bon rhume aussi.

    Si l’autrefois lointain était peu enviable, l’autrefois récent recelait comme vous voyez, plein de petits garçons qui se donnaient bien du mal pour faire plaisir à leur Tata.

    Le monde change. En bien. Il me semble.


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