• Depuis longtemps, j’avais eu cette intuition d’un grand chambardement. Une vague qui submergerait silencieusement l’humanité, sans qu’on sache la nommer. Un sentiment qui vous traverse l’esprit le temps d’un flash et puis laisse une trace ténue mais persistante. Une rémanence. Un truc qui revient sans qu’on y pense, mais qui obsède à force.

    J’avais cru en trouver les premières formulations sous la plume de Saint Exupéry, quand il fait parler la rose au sujet des hommes « qui manquent de racines » et que « ça les gêne beaucoup ». Bien sûr, dit de cette façon, ça limitait mon idée au débat sur la dualité nomade / sédentaire, qui est un sujet qu’on ne peut pas partager sans retenue. Car comme l’humour, on ne peut pas évoquer les sujets sérieux avec tout le monde. Et puis l’actualité des misérables qui fuient la guerre et dont personne ne veut dans son jardin focalise le débat et le restreint à l’émotion du moment. On passe si rapidement pour réactionnaire, de nos jours…

    Ça m’est revenu l’autre jour que j’attendais un ami à une station de vélo « en partage ». Des gens sur cette terre envisagent – réalisai-je soudain v– leur portion de chemin dans la vie sur un vélo quelconque, qui ne leur appartient pas. Un objet laid, qui plus est. Pareil pour les habitations : on partage. Marre de ce fauteuil club de Grand père ? leboncoin.fr ! Qu’importe puisque l’important désormais, c’est l’usage, pas la propriété. L’argent ? Emprunt à taux zéro ou mensualité sans engagement. Libido en berne ? Sites de rencontre. Cuisiner ? Se soigner ? Devenir expert en vins ? En football ? En littérature ? En art moderne ?

    Nous entrons dans une ère de la fluidité où il importe davantage d’être flexible, sans poids, transparent, sans matière, sans attaches. Ce qui compte désormais, c’est la surface où il convient de surfer, léger. L’humanité devient quantique. Nulle part. Elle est un champ dématérialisé. La profondeur des choses, accessible par le travail la peine ou par l’ennui profond importe peu désormais.

    « Les barbares » d’Alessandra BARICCO est un livre qui faut lire. Sans doute le plus important après « Vivre et penser comme des porcs » de Gilles CHATELET.


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