• J'ai démonté le portique

    J'ai démonté le portique

    On l’avait bien repéré dans le coin du jardin, sous le cerisier, le jour où on avait visité cette modeste parcelle en zone pavillonnaire. C'était un portique en rondins de pin sans doute, au verni défraichi avec ses goussets métalliques jaunes, avec une balançoire aux suspentes effilées et un toboggan à fiche des échardes dans les fesses. Il avait été déterminant dans le suffrage des enfants, du moins pour ce qui est de leur droit de vote dans le processus du choix du domicile familial.

    Avant même le premier coup de peinture pour rendre le logis habitable, il m’avait fallu opérer un changement de la balançoire, un lifting du toboggan et l’acquisition d’une paire d’anneaux athlétiques. Un coup de propre sur les lichens qui colonisaient la structure, un coup de verni et zou ! Voilà nos petites boules d’amour pleines de vie occupées durablement. Une main à la base de chaque suspente pour accompagner les balancements du plus petit, au début. Des poussettes ensuite pour augmenter les sensations. Et puis plus rien. « Pousse-toi Papa ». Bon.

    Des cris, des pleurs, des vols planés, des frayeurs pour les mamans. Des anniversaires avec des disputes pour prendre son tour. Des robes de copines maculées de boue car l’endroit ne connait pas la vigilance orange de la météo. Des baskets toutes dégueu qu’on doit nettoyer vite fait avant de rendre les lascars à leurs parents. Des traces de roulades dans l’herbe difficile à éliminer sur les jeans de marque des copains de la ville… Des cabanes en couverture avec des pinces à linge. Des goûters faits exclusivement de bonbons subtilisés à la réserve au-dessus du four, au moment précis où maman détourne ostensiblement les yeux…

    Bien sûr, il fallait tourner autour avec la tondeuse. Et réaliser une finition au coupe-bordure électrique autour des pieds. Ne pas oublier de ranger les agrès à la fin de l’automne, pour éviter leur dégradation trop rapide sous les cieux de l’hiver. L’hiver trop long où de petits yeux le couvraient de regards envieux depuis la baie vitrée où l’on jouait avec la buée de son souffle avant de faire de jolis dessins avec les doigts.

    Et puis les petites boules d’amour se sont muées en grosses bêtes affectueuses quoi qu’odorantes. Le panneau de basket a été progressivement préféré au brave portique. En douceur. Il en va ainsi de nos affections pour les choses.

    L’autre samedi, je l’ai démonté, le portique. Une clé de treize pour la fixation des ancrages au sol. Une clé de 17 pour la liaison des goussets.

    Trente minutes. La fin d’une époque.


  • Commentaires

    1
    rejugone
    Samedi 9 Mai 2015 à 15:16

    Joli texte, touchant, authentique, sobre.

     

    2
    eborciM
    Lundi 11 Mai 2015 à 09:36

    30 minutes pour le démonter... il nous a fallu, à moi et à mes muscles atrophiés, près de 4 fois plus pour ériger le notre il y a quelques années déjà. il a encore de belles années devant lui, mais un jour viendra où lui aussi sera débité en petites sections direction le tas de bois de chauffage... ô temps, suspends ton vol, espèce de sale petit farceur !

    3
    Mardi 4 Août 2015 à 16:22

    J'ai découvert, cet après-midi, un régal de lecture ! Humbles félicitations et remerciements.

    4
    gilles comte
    Vendredi 6 Novembre 2015 à 18:27
    Je dois reconnaitre que vous avez une très jolie écriture.
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    5
    Pascal Mercier
    Mercredi 9 Décembre 2015 à 20:57

    Découvert en 140 caractères.

    Léger et brillant.

    Jean Thalu, quoi.

    6
    Mardi 5 Juillet 2016 à 10:34
    L'humour est la politesse du désespoir. Je réitère et assume : ce n'est pas un ticket pour vous, c'est pire que ca. Bravo pour ce texte touchant, un brin nostalgique pour un portique porteur de bonheur. A tres vite !
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