• La chasuble fluo d'Hyppolite

     

    La chasuble fluo d'Hyppolite

    Quelque part dans ce pays Gallo où les errements de mon nomadisme professionnel m’ont conduit il y a quelques années à poser bagages, quelque part dans le coin vit Hyppolite. Hyppolite est un homme sans âge que je croise au gré de mes fantaisies cyclistes. Vouté sur une bicyclette lourde de sacs aux branches de son guidon, il promène sa silhouette au par-dessus crasseux sur les routes venteuses du pays de Brocéliande. Hippolyte est le vestige de ce qu’autrefois on appelait un « porker » (prononcer « peurtchère ») en basse-Bretagne. Garde-cochons le jour, ils partagent leur couche la nuit après une soupe charitable du fermier. Vaillant malgré son âge, malgré son chagrin peut-être aussi, Hippolyte promène son braquet trop long et son cortex embrumé sous le soleil ou sous la pluie.

    Depuis quelques mois, Hyppolite est accoutré d’un accessoire des plus grotesques qui à lui seul fait honte à toute la civilisation post-moderne où nous nous vautrons passivement : une chasuble fluo avec bandes réfléchissantes sur laquelle est floqué le logo d’une multinationale qui fait dans l’environnement, la propreté et l’eau claire.

    Don d’une bien mièvre zélatrice de la sécurité routière ? Mauvaise farce d’un quelconque lourdaud, moqueur de l’illettrisme du bougre ? Ce que je vois, c'est qu'au nom de je ne sais quel impératif crétin de sécurité, notre homme promène gratuitement cette réclame grossière pour « Vérolia » sur les routes sinueuses d’ici.

    Il y a peu, un sinistre autant que célèbre prescripteur de l’élégance anorexique, catogan argenté lunettes noires, promouvait cet hideux accessoire au nom de l’infantile injonction de limiter le risque routier. Peut-être ce vieux-beau ignorait-il tout le renoncement qu’il incarne, cet accessoire abominable du XXIème siècle où le risque, la crasse, les mauvaises odeurs, la mort au coin du virage, tout ce qu’incarnait l’Hyppolite d’avant, doivent être bannis.

    Dans ce monde où l’on voit plus qu’on ne regarde, où l’on entend plus que l’on n’écoute, où celui qui calcule son risque est le plus malin, la chasuble incarne la soumission à cet état de fait : l’automobile, tonne et demie de ferraille transportant un quintal de chair molle et inculte ne te voit plus, Hyppolite, sans ta chasuble.

    Moi, non-seulement je te vois, Hyppolite, mais je sens ton odeur, et j’en ai la mémoire.


  • Commentaires

    1
    Jeudi 17 Janvier 2013 à 11:12

    Un vêtement que l'on devrait plutôt faire porter aux "traders" : eux n'ont pas la moindre once d'insouciance ou de gaieté légère, eux sont volontairement dangereux dans leurs recherches avides de l'accident qui rapportera le pactole ...

    Ras-le-bol de l'ultra-hygiénisme ambiant ...

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