• Les noisettes n'ont pas toutes le même goût

    Les noisettes n'ont pas toutes le même goût

    Il faut se vêtir chaudement et choisir une paire de chaussures robustes. Et puis prendre le temps de marcher vers le petit chemin odorant. Là, loin de la foule grégaire, retrouver ce taillis de coudriers aux tiges rectilignes à faire des arcs et des flèches. De préférence, cueillir plutôt de ramasser au sol, ses fruits. Se courber, alternativement s’accroupir puis s’étendre sur la pointe des pieds, tendre le bras. Plonger la tête dans les branchages. Laisser les feuilles bronze nous caresser le visage, visiter notre encolure. La pulpe des doigts s’abrase aux involucres encore verts. Les anses du pochon de polyéthylène se tendent dangereusement. Il est temps de rentrer.

    Le chemin retour est gai. On croque délicatement quelques coques encore tendres. L’amande est verte et amère. Peu engageante. Il faudra patienter.

    Vient le temps du séchage, de la maturation. Au sec, au frais et surtout à l’abri des curieux. Souvent en passant, comme un rite délicieux, plonger la main bien au fond du butin. Ecouler les billes brunes entre ses doigts écartés. Contempler cette richesse tenue au secret. L’entendre tinter contre les bords du saladier. Renouveler le geste encore et encore. Saliver.

    Puis, sans prévenir, une fin de soirée d’hiver, le saladier s’invite au coin du feu. Le casse-noisettes passe de main en main. Les petits se font aider, plus souvent qu’à leur tour. Les coques s’amoncellent sur la table, bondissent dans la pièce dans les claquements de l’outil. Les gourmets s’activent. Les conversations aussi. 

    Ceux qui connaissent ces veillées gourmandes savent bien que toutes les noisettes n’ont pas le même goût. A ce jeu, chacun sait que la robe n’est rien. La promesse d’un belle châtain clair peut dès fois dévoiler une amande rance. De même, une robe peu engageante révèle d’autres fois sous la dent, un délice au parfum boisé. Pas de règle. La nature, aléatoire. N’en déplaise au Petit Prince, le cœur lui-même ne voit pas tout ce que les yeux ignorent. Pour connaître les choses en vrai, il faut mordre dedans. Comme la vie.


  • Commentaires

    1
    mabtwo
    Vendredi 4 Janvier 2013 à 22:26

    Très beau texte, on vous accompagne dans votre quête précieuse, on aurait envie de sentir un feu de cheminée et de croquer quelques noisettes; c'est bon de vous lire;

    2
    Bicycle Repair Man Profil de Bicycle Repair Man
    Vendredi 4 Janvier 2013 à 22:52

    D'un coup de bicyclette, vous seriez bien vite arrivée !

    3
    ebel0410
    Vendredi 4 Janvier 2013 à 23:16

    Sous l'apparence brute (au sens de l'ours que l'on vient de sortir de sa molle hibernation) de notre homovelocypedus, serait tapie une âme de poete amoureux des choses simples et pourtant essentielles. Merci pour cette poétique ballade, je sens presque l'odeur fraiche du sous-bois, matiné de son rayon de soleil d'automne.

    4
    Bicycle Repair Man Profil de Bicycle Repair Man
    Samedi 5 Janvier 2013 à 10:38

    Un ours brut en hibernation… La métaphore me plait. Quand à ce qu'il recèle, vous êtes dans le ton du texte. Bravo !

    5
    clochapuis
    Mercredi 9 Janvier 2013 à 23:16

    Parmi les bonne nouvelles de ce début d'année, la réouverture du cahier du "mécanicien". Mécanicien de haute précison (ou mecanik bihan, comme on dit en Trégor), qui convoque des parfums d'école buissonnière à la table des adultes qu'il nous faut bien être. Si "les noisettes n'ont pas toutes le même goût", je jurerais que Colette aurait volontiers croqué celles-ci!

    Amitiés.

    Clo

    6
    Bicycle Repair Man Profil de Bicycle Repair Man
    Mercredi 9 Janvier 2013 à 23:47

    Le commentaire flatteur d'une "vraie" plume me comble. Serai-je à la hauteur pour une prochaine production ? Vous me mettez sous pression, là !

    7
    clochapuis
    Jeudi 10 Janvier 2013 à 12:51

    Surtout pas de pression. la pression conduit trop d'écrivains à l'imposture. L'écriture qui touche est, je crois, un beau regard sur des choses simples (et beaucoup de travail, c'est vrai!)

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