• Manger m'emmerde

    Je connais plusieurs femmes de la génération née juste après-guerre, dont la seule préoccupation dès le lever est la préparation du repas du midi. En vacances, cette obsession m’est particulièrement invivable. La question du choix entre un tournedos ou un filet mignon pour le déjeuner dans la tiédeur du café et des tartines du petit déjeuner me rappelle chaque fois qu’on n’aurait pas dû passer cette semaine chez Tata Roseline.

    Tous les ans, c’est la même chose. Je me fais avoir. Pour faire plaisir.

    Conditionnées depuis toutes petites à faire la tambouille pour leurs gros cons de Tontons de maris, elles occupent leurs esprits désormais retraités, à cette activité. Que les mètres carrés entre l’évier et le four servent de refuge à la vacuité de leur existence, passe encore. Mais moi, en vacances plus qu’à tout autre moment de l’année, je pense avant tout à me bouger le train, à prendre l’air. Et j’aime par-dessus tout qu’on me fiche la paix au petit déj’.

    Je mange quand j’ai faim et selon les circonstances. Car manger m’emmerde. Pour tout dire.

    Il en va de même de cette vogue écœurante du bien manger à la française. Ce snobisme urbain des bons petits plats originaux (mais très peu caloriques) où chacun rivalise tel un paon en cuisine, ne m’intéresse pas. Et vas-y que je te colle cinq fruits et légumes par ci, un régime à la con par là. Occupez votre oisiveté citadine comme vous voulez. Mais ne m’invitez pas. J’ai mieux à faire.

    Manger m’emmerde. Tenez-vous le pour dit.

    Jamais m’entendez-vous, je n’entrerai de mon plein gré dans l’un de ces bouges étoilés à la mode. Les chefs prétentieux qui y étalent leur science de la truffe, leur expertise du canard, leur doigté du chou-fleur poché,  me filent la nausée. Les abrutis qui les vénèrent m’attristent.

    Manger m’emmerde.

    Ne m’invitez pas non plus dans un de ces établissements de province renommés. Le dernier qui de bonne foi, a cru me faire plaisir en m’imposant d’asseoir mes fesses deux heures durant sur l’un de ces sièges contemporains ridicules et guindés en a été pour ses frais : je suis arrivé une heure en retard, après ma séance de piscine.

    Manger m’emmerde. Surtout quand ça me fait manquer mon sport.

    Laissez-moi m’empiffrer ma demi-douzaine de galettes au lait ribot, que je me prépare moi-même. De celles que mon Pépé slurpait bruyamment de sa cuiller en aluminium, dans la cuisine sombre de sa ferme. Avant de retourner aux champs.

    Avec une bonne bière, c'est mieux.

    Manger pour vivre, et pas l'inverse.


  • Commentaires

    1
    eborciM
    Mardi 29 Janvier 2013 à 16:41

    "slurpait" ? du verbe - premier groupe - slurper ? un peu comme dans la chanson du grand Jacques. peut être faudrait-il le suggérer aux vieux messieurs en vert, histoire de les occuper un peu ?

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    2
    Bicycle Repair Man Profil de Bicycle Repair Man
    Mardi 29 Janvier 2013 à 18:05

    Je suis sûr qu'un jour, il liront mon blogounet.

    3
    hms
    Mardi 29 Janvier 2013 à 21:07
    Merci pour cette lecture. Une paire de mouflets à la maison ne permet malheureusement pas toujours tant de simplicité...
    4
    Bicycle Repair Man Profil de Bicycle Repair Man
    Mardi 29 Janvier 2013 à 21:53

    Vrai. La nécessité sociale nous contraint à bien des choses contre notre propre nature.

    5
    clochapuis
    Mercredi 30 Janvier 2013 à 16:23

    Ce billet me renvoie à ce qui doit être un fond de rusticité identitaire que je reconnais bien chez mes ascendants bretons comme chez moi. Résistance à la culture de l'art culinaire français? Le fait est que je déteste itou le gastronomisme dialectique qui, passant par les maladies infantiles et les préférences sexuelles du chef étoilé, s'achèvent par la customisation du rutabaga du marché. J'aborrhe les crêperies dans lesquelles la galette emphatisée baptisée Brocéliande ou Bréhatine sert d'emballage à diverses mixtures agro-alimentaires de provenances indéterminées. Et les restaurants qui me font regretter de ne pas être allée plutôt au théâtre.

    Mais je suis plus nuancée sur les tatas ou autres aïeules qui vous concoctent un fricot. Parce que, quand elles disparaissent et qu'il ne reste plus que les copines pour vous faire comprendre que les recettes de cuisine sont les pansements de l'âme, c'est comme quand il n'y a plus personne nulle part pour vous appeler "plac'h bihan": on se sent... moins jeune.

    Et j'aime bien manger par exemple: les premières patates de St Riom engraissées au goémon, le maquereau pêché par mon fiancé et fumé aux copeaux de chêne rabotés à la maison. J'aime bien l'idée de la patience de la nature.

    Mais là où nous avons une nette divergence, cher BicycleMan, c'est qu'en ce qui me concerne, je serais plutôt "patatez ha laezh' que galettes, même si pour satisfaire cet appétit-là je dois me soustraire au regard narquois de mon vieux papa qui est tombé dans la bassine de lait ribot quand il était petit (et qui a du mal à admettre de devoir aujourd'hui payer son médecin pour se retrouver interdit de beurre comme quand il était un enfant pauvre). J'essaie de lui expliquer que ce qu'il m'a donné, c'est le luxe du choix et même celui d'être une plouc, si je veux, quand je veux. Et ça, je crois qu' il l'entend.

    En tous cas, si on se rencontre, je sais que je devrais m'en tenir au pâté Hénaff avec un coup d'chistr, n'est-ce-pas?

    6
    Bicycle Repair Man Profil de Bicycle Repair Man
    Mercredi 30 Janvier 2013 à 16:48

    Je m'insurge (pour la pure forme, parce que chacun de vos commentaires est un ravissement): le lait Ribot n'est PAS GRAS ! Et ce, pour la simple raison qu'il est le résidu du barattage. Moins de 3% de MG. Sûr.

    7
    Samedi 29 Juin 2013 à 20:56

    Bonsoir,

    Que du bonheur, il faut que le "mangement " soit sources de plaisir et de partage. Vaiselle dorée, ecuelle en bois... qu'importe le flacon pourvu qu'on ait le bon convive à nos cotés...

    ce fût un régal. merci

    8
    Dimanche 21 Juillet 2013 à 09:17

    Hé ben moi,  j'aime manger, j'aime la nourriture comme jeu, comme partage, ben comme plaisir, kôa ! Et je n'ai jamais cotoyé, de ma vie, de lait ribot ! Et le lait gras qu'on allait chercher à la ferme chez monsieur Farochon, et qui me paraissait vert dans la lumière glauque de l'étable, il m'écoeurerait si je devais aujourd'hui le boire. Les restaus snobs et les concours du plus beau customisateur de rutabagas, c'est chiant au possible, mais sinon, alleluyah les papilles, la tête, le coeur ... ! Quel bonheur qu'on ne soit pas tous semblables !

    9
    Dimanche 21 Juillet 2013 à 14:55

    Bonjour,

    Que ça fait du bien....CARPEDIEM.... cela fait partie des plaisirs de NOTRE vie aussi différente soit elle.

    Buvons, mangeons mais toujours en bonne compagnie....et de tout.

    JOYEUX DIMANCHE

     

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :