• Se trouver beau (poil au dos !)

    Poil au dos !

    Quand je me regarde dans le miroir, je me trouve acceptable. Sans plus. Un morceau de viande pas gros gras, pas trop maigre. Peut-être le temps et l’habitude ont-ils patiemment éteint toute velléité de transformer ce qui ne pouvait pas l’être. Sans doute ont-ils émoussé une éphémère aspiration à ressembler à quelque chose d’autre que ce que je devais devenir.

    Il y a bien sûr ce poil dans le dos, que je traite à la pince à épiler. Un œil fermé, la langue sortie par l’effort de concentration : tac ! Une fois de temps en temps, quand il repousse. Essayez pour voir, de viser un seul et unique exemplaire entre les fines mâchoires d’une pince en visée indirecte ! Vous apprécierez alors la dextérité de votre serviteur, et mesurerez le travail accompli pour mettre le geste au point, précis et rapide. Quand il est apparu, ce poil, j’ai vu en lui l’éclaireur téméraire d’une armée qui allait envahir mon dos. J’ai redouté un temps de me transformer en yéti, ce qui m’aurait affligé, c’est sûr. Longtemps j’ai été extrêmement vigilant et je me suis préparé au combat, prêt à éradiquer toute contagion folliculaire. En mes jeunes années où cet événement est intervenu, j’ai nourri la crainte de ne pas être désirable aux yeux des filles. Et puis finalement non. Il est demeuré solitaire. Il est très courageux et très obstiné, il faut bien le reconnaître. Finalement, j’ai appris à l’aimer d’un amour un peu vache, certes, mais je confesse que le jour où ce phœnix capillaire ne réapparaitra plus, je m’inquiéterai un peu.

    Et puis j’ai appris que certaines femmes aiment les hommes tout poilus du dos. Et pas que des moches qui jettent leur dévolu sur des mâles au rabais : des très désirables aussi ! Certes, cela peut vous paraître totalement invraisemblable, mais je vous affirme que c’est vrai ! Tout compte fait, j’aurais pu partager cette toison dorsale avec une autre femme que la mienne. Comme bien d’autres hommes finalement.

    Et puis j’ai appris que certaines personnes passent leur vie à essayer d’être quelqu’un d’autre. Qu’elles tentent de se transformer. Qui par l'épilation, qui par la chirurgie ou tout autre artifice misérable. Elles y passent le plus clair de leur temps. Ça exaspère leur entourage. Parfois, elles le quittent pour rejoindre d’autres personnes également obnubilées et narcissiques. Souvent, elles vieillissent mal et font chier tout le monde.

    Tout bien compté, il est heureux que mon poil ait choisi les étendues difficiles de mon omoplate pour son existence tourmentée. Il eut choisi le creux de ma main ou pire, ma langue, j’en eus certainement souffert davantage. Mon existence en eut été affectée à coup sûr !

    Des fois, je pense à SPINOZA qui dit que « la satisfaction intérieure est en vérité ce que nous pouvons espérer de plus grand", et je me dis qu'il a bien raison.


  • Commentaires

    1
    Jeudi 20 Juin 2013 à 16:27

    Apprendre à accepter ce que la nature nous a donné, ce n'est pas une tare qui nous est donnée, c'est un élément de notre personnalité, notre fiche d'identité biologique en quelque sorte

    bonne journée

    amicalement

    Claude

    2
    clochapuis
    Vendredi 21 Juin 2013 à 16:53

    Il faudra un jour écrire une élégie du poil (pour sa contribution à la béatitude selon Spinoza, plutôt qu'à la joie de vivre selon Lacan). Non pas écrire une stance en hommage à n'importe lequel de ces 400 millions de poils qui colonisent nos 2 mètres carrés de peau, qui tapissent jusqu'aux zones les plus obscures de notre anatomie -sans exclure celle de la reine d'Angleterre-, mais une louange à ce poil solitaire qui, bravant les exactions des tricophobes armés de pinces et de poix brûlante, s'avance sous les tirs nourris des canons de la beauté pour défier nos conventions épidermiques.

    C'est que ce poil-là, le brave, est loquace. Au nom de tous les autres poils du système, il dit à qui veut l'entendre la joie des cancres impubères qui, dessinant " sur le tableau noir du malheur,avec des craies de toutes les couleurs, le visage du bonheur", font rimer "peut mieux faire" avec "poil au derrière". Il résume la résistance du SDF au combat contre l'annihilation quand à "projet RMI" il répond: "poil au zizi". Et il réduirait au silence les thuriféraires de "l'austérité" si quelqu'un pouvait leur hurler:"poil au nez"!

    Le poil est le témoin privilégié de l'homme face à lui-même, c'est à dire dans la solitude implacable de sa salle de bains. C'est la raison pour laquelle il fait toujours l'objet de pratiques rituelles tribales. Certains ethnologues ont établi, par exemple, que c'est en se rasant le poil du menton tout en ressassant une formule magique devant son miroir qu'un puissant chef de Papouasie Tricolore s'est fait adouber avant de se faire caresser dans le sens du poil.

    Car, on l'a bien lu, le poil a un sens. Et s'il a un sens, c'est qu'il est hilarant comme en témoigne l'expression un peu tombée en désuétude: se poiler. Cependant, malgré diverses hypothèses, aucune étude n'a à ce jour mis en évidence la corrélation entre nos 400 millions de muscles horripilateurs et les muscles faciaux qui participent à la réalisation de notre sourire. On peut raisonnablement supposer que, si le poil fait surtout rire les adeptes de 0+0=la tête à Toto, c'est que les autres, devenus nubiles et sérieux, n'ignorent pas qu'un jour un de ces poils continuera de pousser post-mortem, prolongeant une trace de leur existence au détriment de leur dépouille. Ce sera le dernier poil. En ce sens, rire du poil serait donc le propre de l'homme retombant en enfance en signe de rébellion contre son destin, en soumission au comique plutôt qu'au tragique. Poil au zygomatique, je n'ai rien de mieux pour aujourd'hui...

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