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    Jai toujours été très fort en grimper de corde. Tout petit déjà, j’étais imbattable. Au grand étonnement de tous d’ailleurs, car ma physionomie ne laissait guère deviner cette disposition habituellement attribuée aux « balaizes ». Je parle bien de la corde lisse, pas celle avec des nœuds tous les 50 cm, réservée aux inaptes à la technique dite « de la clef de pieds ». Vous savez, ce mouvement où l’on enroule la corde autour d’un mollet en laissant le brin libre sur le pied, pour ensuite le bloquer en y pressant l’autre pied et éviter la redescente par glissade.

    Car le grimper de corde, bien plus qu’un exercice de force et d’explosivité, relève d’une technique proche d’une chorégraphie. Tel le serpent en effet, ou plus exactement de la chenille, il s’agit de faire succéder à une traction des bras consécutive à une phase d’extension, un lever de jambes en flexion abdominale puis un blocage des pieds tels que sus-décrit. On répète le mouvement le plus rapidement possible jusqu’à atteindre le point haut à 6 mètres du sol, le plus souvent. Puis on se laisse descendre… à l’équerre pour la frime ou en se cramant les mains contre le chanvre quand on n’en peut plus. Ce qui est le plus souvent le cas.

    Non pas, et je le regrette, que cet exercice me procurait le fameux plaisir sexuel induit par l’exercice, je jouissais en revanche à cet agrès du regard fervent d’un certain nombre d’admirateurs et surtout d’admiratrices. Cette reconnaissance suffisait à asseoir ma réputation de « pas l’air très costaud comme ça, mais quand même ». A la réflexion, je pense qu’une parfaite maîtrise de la technique et un rapport poids / puissance avantageux me plaçaient largement en tête de toutes les compétitions. J’eus même lors de ma longue scolarité, à rencontrer et à vaincre à cet exercice plusieurs bestiaux élevés au Prytanée Militaire, futurs Saint-Cyriens à gros bras. Palmarès dont je ne suis pas peu fier.

    Connu pour cette prédisposition, on me défiait souvent aux tractions des bras lors des repas de famille en basse Bretagne. Là encore – toujours sans doute eu égard à mes dispositions naturelles et à en absence de tout entrainement spécifique – il m’était aisé de relever le défi lancé par quelque jeune boutonneux adepte de la gonflette pubère et bronzée. Dix, quinze voire vingt répétitions après un repas un peu arrosé m’octroyaient un score bien supérieur à celui des jeunes inconscients.

    L’autre jour pourtant, loin des regards, je voulus renouveler l’exercice sur la barre faîtière d’une balançoire… J’éprouve ici le besoin de vous le dire : je décline.

    Et une évidence s’impose à moi : à mon âge, rien ne vient plus sans entraînement. C’est un peu cruel, mais tout espoir n’est pas perdu. Je reviendrai à mon meilleur niveau très rapidement.

     


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