• Comme un malaise

     

     

    Bien sûr il y a en moi cette enfance bretonne nourrie aux crêpes et à l’amour d’une famille unie. Ces escapades inconscientes, des journées entières dans la lande, que je n’oserais consentir à mes propres enfants. Les vaches à l’odeur forte et attachante. Le golfe du Morbihan et ses puces de sable. Les ajoncs qui griffent les jambes, les genets qui bruissent dans le vent d’ouest.

    Il y a cette musique de kermesse sur laquelle on danse ensemble jusqu’à la transe, la nuit tombée. Les plats de tripes cuisinés dans les auges à cochons pour la multitude des convives. Cette langue chuintée, avec les R roulés des vieux. Le cidre âpre, la gnole décapante.

    Et puis mon physique à la serpe, avec mes taches de rousseur, mon accent de plouc si je le laisse filer, qui ne m’autorisent aucun reniement de mes origines.

    Il y a aussi cet esprit de rébellion hérité de mes ancêtres qui refusèrent un temps, une République venue de trop loin. Une République contre laquelle ils jetèrent toutes leurs forces dans un refus obstiné du nouveau régime imposé. Une République au nom de laquelle plus tard, j’ai perdu des arrières grands-pères dans le premier conflit mondial. Une République à cause de laquelle nous avons failli perdre notre langue.

    Une République que nous avons intégrée, pourtant, avec le temps, qui a offert l’instruction à mes parents puis à moi et qui continue son œuvre d’élévation chez mes enfants.

    Une république à laquelle donc, je suis attaché par la raison plus que par le cœur.

    En moi, il y a aussi le souvenir de ce grand oncle déporté en 1941 au STO. Il y a ses récits détaillés des convois par train, entendus par des oreilles trop jeunes lors de soirées trop longues et trop arrosées. Reviennent ces images de gens transportés, déportés, arrachés par la violence de la mécanique ferroviaire. D’enfants séparés de leurs parents, de vieux bousculés, de gens réduits à rien dans la promiscuité animale des wagons de la mort. L’arbitraire au coin de l’instant. Et puis la mort organisée, au bout du voyage, en ces lieux sinistres, et dont je me suis astreint la visite.

    J’y pense à chaque fois que je prends le train, en 2012.

    Aussi loin que l’on puisse convoquer la généalogie, aucune signature de judéité dans mon pédigrée. Et pourtant, à mon corps défendant, je porte en moi la trace de cette abomination totale que fut la Shoah. Aucun rabbin autorisé ne pourra par ses invocations soustraire ces stigmates. En bon Républicain, je porte cette mémoire en moi.

    Sans doute est-ce pourquoi la désagrégation actuelle d’une République où chacun serait caractérisé avant tout par l'appartenance à une communauté supposée, m’apparait comme une horreur absolue. Elle porte à mes yeux, des relents de 1793.

    Ceux qui gouvernent actuellement notre pays, ceux qui commentent et qui invoquent d’abord et avant tout l’origine, la confession, la couleur, nous conduisent vers l’abîme. En sont-ils seulement conscients ?


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