• Dans le camp des anti

     

    Dans le camp des anti

    Tout petit déjà, je m’étais bien rendu compte que j’étais différent des autres dans mes rapports aux animaux domestiques. Je ne comprenais pas toute cette affection portée par les copains à leurs boules de poils puantes, bavantes, aboyantes et sautantes qu’ils avaient reçus pour leur anniversaire. L’oisiveté des chatons domestiques ne m’inspirait que du mépris, et leurs poils répandus sur les canapés m’écœuraient au plus haut point. Mais bon. Va encore pour ces bébêtes avec lesquelles je pouvais comprendre qu’une forme primitive de jeu fut concevable. Mais que dire de celles en cages, qui lorsqu’elles n’empestent pas la maison, vous réveillent de leurs viles activités nocturnes ? Bref, l’asservissement total de mes camarades aux remugles domestiques de ces bestioles tout juste défécatrices me plongeait dans un abîme d’incompréhension.

    Les animaux de la ferme jouissaient d’un statut supérieur à mes yeux. D’abord parce que leur existence n’empiétait en rien l’espace de vie des humains. Poules, oies et canards à la basse-cour, vaches à l’étable, cochons à la porcherie et lapins au clapier. Chacun d’eux passerait un jour à la casserole, à l’exception du chien bien entendu, qui lui faisait partie du dispositif comme outil, non comme produit. Point trop d’intimité donc avec le genre animal. Peut-être pour cultiver cette distance utile le jour où la nécessité imposerait le sacrifice. Pas d’effusions non plus, même avec le chien à qui l’on rappelait le statut parfois assez durement.

    Le sacrifice intervenait au terme d’un processus de maturation, fruit du travail quotidien d’élevage. S’appesantir sur les techniques et les modalités opératoires d’égorgement, de décapitation ou  d’énucléation oculaire de telle ou telle espèce serait ici sans grand intérêt autre que celui de vous prouver que je l’ai vu souvent pratiquer. Que je l’ai pratiqué moi-même. A la maison, au fond du jardin, puis industriellement en abattoir durant mon parcours professionnel par la suite.

    Aujourd’hui encore, je demeure totalement hermétique à toute sensiblerie à l’égard du règne animal. Dépourvu de sensiblerie ne signifie pas pour autant inconscient de la souffrance animale. Les religions, qui nous en disent bien plus sur nous-mêmes que sur un au-delà illusoire, soulignent le caractère si particulier du moment de la mise à mort d’un animal. Si elles l’encadrent bien souvent d’un rituel précis pour prévenir toute erreur technique qui pourrait rendre la viande impropre à la consommation, on retient surtout qu’elles lui confèrent un caractère sacré qui interdit la banalisation de l’acte. Je témoigne que même déshabillé de ses tralalas religieux, cet acte précisément n’est jamais anodin. Ce n'est que la nécessité qui nous y contraint, quand on est comme moi, un maudit carnivore invétéré. Y éprouver du plaisir relève de la perversion.

    J’ai assisté à des mises à mort aux arènes de SEVILLE il y a une vingtaine d’années. N’étant pas de cette culture, j’ai trouvé cette mise en scène spectaculaire particulièrement obscène et avilissante pour le genre humain. Cette incompréhension argumentée me place donc dans le camp des anti.


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  • Commentaires

    1
    Mercredi 10 Octobre 2012 à 20:52

    Bonsoir.

    Je viens de lire votre blog d'une traite. Un blog avec du fond, pour qui sait lire. De la forme -je parle de la langue -, à laquelle j'attache sans doute trop d'importance. Du sens, de l'humour et une certaine netteté de ton. Du caractère, en somme. Votre voix me parle donc directement, bien que mon parcours soit évidemment différent du vôtre. Quoique. Quelques semaines en abattoir (formation professionnelle), un goût marqué pour la viande peu cuite et un dégoût profond de la souffrance infligée gratuitement m'incitent à adhérer au propos de cet article en particulier. 
    Dans l'attente de vous lire à nouveau,
    cordialement. 
    Thordruna. 

    2
    Bicycle Repair Man Profil de Bicycle Repair Man
    Mercredi 10 Octobre 2012 à 21:50

    Votre commentaire me fait bien plaisir. On écrit pour soi, bien sûr. C'est une gymnastique douce et rare, qui procure un sentiment très agréable.

    L'acte d'écrire pourrait donc se suffire à lui-même.

    Mais savoir que sa propre production procure également un bon moment au lecteur, et un bonus qui décuple ce sentiment.

    Merci.

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