-
Le jardinage est un sport de combat
Le jardinage est un sport de combat. Je pense que les copains qui viennent le dimanche au barbecue ne s'en rendent pas bien compte. Entre l'hostilité des végétaux qui poussent quoi qu'il arrive, la prédation des volatiles et l'envahissement sourd des insectes grouillants, le jardinier est seul face aux éléments. Souvent même, sa femme bien trop affairée au pavillon douillet n'en a pas conscience non plus.
Il y a le gazon bien sûr, le plus visible d'entre tous. Celui-là même pour lequel il faut s’acquitter de la corvée de tondeuse hebdomadaire afin de ne pas courir le risque de la double peine le week-end suivant. Trop long à la première tonte de la saison, il ordonne des pauses à la machine à chaque aller-retour. Vous savez, cette pause où vous lâchez le levier de sécurité pour arrêter la lame, levez le panier et videz la charge pesante dans le composteur... puis où vous vous cassez le dos courbé sur le lanceur à ficelle pour redonner vie aux pétarades puantes et fumantes du moteur. Ce gazon souvent trop humide et qui colle à la lame que vous avez affûtée dans le secret de vos soirées d'hiver. Ce gazon où prolifère le pissenlit, honte du jardinier. Elle ignore tout du pissenlit, la copine de la ville qui vient au barbecue. Sait-elle seulement la chasse que je vous lui faites, armé de votre binette, au pissenlit ? Pour elle, en salade. Pour vous, nourriture de lapins. Pour elle, souffler mièvrement sur les aigrettes dans la brise du printemps est un jeu. Pour vous, une contamination mortelle avec l'intention de semer le déshonneur sur vos plate-bandes.
Et puis il y a les haies bien plus encore, qui obligent à un exercice harassant autant que dangereux où les lames croisées du sécateur électrique frôlent alternativement le visage du tâcheron en équilibre sur l'escabeau et le fil d'alimentation entortillé dans la végétation. Et les tailles qui jonchent les alentours après la coupe, et qu'il faut rateler, saisir à bras le corps en se griffant les avant-bras, charger dans le coffre du break, porter à la déchetterie où les retraités écolos du samedi pullulent hagards et oisifs. Ce stockage temporaire des tailles de haies dans votre véhicule, occasion unique pour toutes sortes d’arachnides de le coloniser durablement...
Il serait illusoire de croire que le potager offre une compensation à ces besognes par quelques largesses du côté du comestible. L'espace est contraint par le cadastre imaginaire de Madame, globalement assez soucieuse que votre carré de culture ne s'étende pas trop. Aussi, dans le soucis de préserver la paix du ménage, osez-vous tout au plus un coup de bêche supplémentaire chaque année afin d'étendre votre parcelle. La joie atavique que vous procure le travail de la terre, la fierté des ongles noircis par la glèbe ne doivent pas pour autant vous emporter : un ou deux repas de petits pois par an, quelques tomates et puis c'est tout. Un plan de courgettes ? N'y pensez même pas ! Trop gourmand en place !
Les fourmis, les étourneaux, l'envahissement du trèfle, les épines des ronces scélérates ; le jardinier est un être en éveil, toujours prêt au combat toujours plein d'abnégation face aux ampoules du manche de l'outil. Mais plus que tous les autres combats, c'est l'indifférence des copains urbains à tous ces efforts, et qui jouissent du barbecue en devisant de leurs lectures du samedi qui lui fait le plus de mal.
-
Commentaires
Que le gazon s'épanouisse, que les pissenlits et les herbes folles s'élancent vers le ciel désormais bleu, peu me chaut (j'écris au présent car je ne sais conjuguer autrement cette dernière expression, c'est malin, et j'ai la paresse de chercher, bien que je m'amuse à imaginer un "peu me chaulait" rigolo) mais j'ai récemment compris pourquoi mon jardin s'était transformé en escargotière, ou lupanar pour colimaçons - ou, pour reprendre les termes élégants d'un blogueur compatissant, en maternité-nurserie, sans doute la plus spacieuse et la plus moderne de tout le village.
Voilà donc mon sport de combat actuel - l'évacuation de milliers d'escargots loin loin loin par hélitreuillage en sac plastique (je ne pratique pas de génocide). Ensuite seulement entamerai-je ce que tu décris, et ça me déprime à l'avance, alors je retomberai dans la contemplation béate de ces herbes folles barbues, piquantes, camomilles sauvages et mauves envahissantes, en picorant trois tomates et deux petits pois sauvés in extremis (vous avez raison, sans les escargots, j'aurais picoré trois tomates et quinze petits pois).
Arf, tout est question de caractère! Il y a ceux qui procrastinent, et ceux qui agissent. Il y a ceux qui font des barbecues, et ceux qui n'en font pas :D
Un vrai régal à lire, en tout cas!
(et donc, maintenant, je suis bien obligée d'aller arroser les tomates, arf)
3clochapuisSamedi 15 Juin 2013 à 22:04Incontestablement, le jardinage doit être un objet de philosophie. A ce titre, nterrogeons-nous, avec l'abyssale profondeur du regretté Jacques Chancel, qui aurait formulé ainsi la question qui se pose à nous: philosophie, oui! Mais jardinage, pourquoi?
Eh bien, tout simplement, parce qu'avant que "de façon fort civile, le rat des champs n'invite le rat des villes", il a été, à son corps défendant, transformé en vivante allégorie, que dis-je? , en figure mythique ou historique, incarnant à lui seul toutes les turpitudes de la condition humaine. Observons-le. C'est tour à tour Sisyphe, condamné pour l'éternité à emplir un panier de tondeuse à gazon qui ne s'épuisera jamais. C'est Attila, inflexible face aux supplications de sa compagne éplorée quand il se voit contraint de métamorphoser les pâquerettes de la pelouse en potage poireaux-pommes de terre. Enfin, c'est Homo Sapiens, assailli par un facétieux prédateur: l'escargot! l'escargot qui, non seulement s'obstine à lui arracher le pain de la bouche et le basilic de la pasta, mais, portant son Carlton sur son dos, se livre devant les âmes innocentes à des activités copulatoires échangistes à en faire rougir Dédé la Saumure!!!
Nul doute que l'organisation de charters d'escargots devrait être inscrite comme une priorité dans les programmes électoraux des prochaines échéances électorales. Et que, dès lundi matin, les impétrants bacheliers pourraient avantageusement se voir remettre une binette et un sarcloir pour apprendre à "cultiver leur jardin".
Bon, maintenant, j'irais bien me vautrer dans une chaise-longue, mais il risque de pleuvoir, ce qui fera pousser le gazon et ressortir les escargots. Et il en sera ainsi jusqu'à la nuit des temps...
Ajouter un commentaire
Confronté à cette complainte, Maximilien de Béthune, duc de Sully et ministre de notre regretté roi Henri IV, aurait sûrement aménagé sa célèbre phrase pour rétorquer tout de go que:"Bricolage et jardinage sont les deux mammelles de l'homme civilisé." Son esprit avisé ne se serait pas arrêté au contenu apparemment iconoclaste de la formulation, sachant que les progès de la science et les évolutions sociétales dispensent de s'attarder sur les détails de genre. L'exhibition de la mammelle dans un lieu public sélectionné étant devenue, en effet, en ce siècle troublé, l'exploit sportif le plus prisé du combat féminin (ou feminen), on peut raisonnablement conclure que "bricolage et jardinage" sont les activités qui maintiennent l'homme civilisé à la caverne tandis que les femmes libérées du ménage s'en vont chasser les dinosaures au milieu des champs d'avanies et framboises dont chacun sait qu'elles sont, par ailleurs, les mammelles du destin.
Bien, maintenant, je vais arroser mes plantations.
Clo