• Un dimanche matin en voiture, sur le pont qui enjambe la rivière. En contrebas, le chemin de halage encombré de joggeurs bigarrés. Des rapides qui se faufilent, moulés dans leur lycra. Des obèses qui transpirent sous leur bâche. Des étudiants en T-shirt malgré la fraîcheur. Des VRP coupables de leurs excès alimentaires de la semaine. Des femmes aux postérieurs considérables qui se trainent en groupes bavards. De vieux beaux qui contiennent leur essoufflement, longs cheveux gris au vent.  Des chiens en laisse. Des grands et des petits, des beaux et des moches, des cuisses en jambonneau, des mollets de canaris, de la viande et des os. Tout le petit peuple de la messe de la forme, haletant dans le vent qui souffle le long du cours d’eau, comme un troupeau qui s’abrite et qui s’étire.

    Le sport-santé a donné rendez-vous à cette foule dense et fidèle sur le chemin autorisé. Écoulement laminaire de marques et de logos qui serpente le long de la rivière. Contention veineuse aux mollets, tissus extensibles, toiles respirantes, couches et sous-couches d’accessoires. Musique et coach bien au fond des oreilles. Couleurs et allures saccadées, sautillantes ou bondissantes. Communion de casquettes, de bandeaux et de bonnets.

    Tout ici est à l’opposé de ce qui me faire courir, qui serait plutôt l’expérience de la solitude dans la nature, à travers champs ou dans les bois. La rencontre avec les vaches hagardes, les moutons craintifs, les chiens joueurs et les chevaux aristocrates. Parfois par chance aussi, une biche, une harde de sangliers ou un lièvre. Le péril temporaire loin de toute âme, dans les chemins creux boueux, les trous d’eau, les branches mortes qui font trébucher, les ronces qui griffent. Avec pour seules ressources mes jambes, mon cœur et mes poumons, pour voir si j’ai encore envie de m’en sortir. Ma propre mise en danger organisée délibérément, le plus souvent possible. Pour peut-être un jour ne jamais plus revenir.

    Je m’ouvre à mon entourage de mes quelques réflexions.

    « Ils sont mieux là que devant leur télé », tranche ma femme.

    Fin.


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