Un budget en rupture

Il faut bien se rendre à l’évidence ; si on lit les journaux, si on écoute la radio, bref, si on ouvre les yeux, l’argent apparait toujours comme la question centrale de notre monde. D’ailleurs, il suffit d’en manquer pour s’en rendre compte. Et donc à défaut d’avoir soi-même hérité d’une fortune constituée par d’autres, il faut être bien avec ceux qui en ont. Il vaut mieux s’appliquer à gagner ou à conserver la confiance de ceux qui peuvent nous en prêter un peu.

N’ayons pas peur des mots, je ne suis pas peu fier d’y être parvenu jusqu’à ce jour. Oui. Par mon travail, par la démonstration de mon sérieux et par ma constance dans l’effort, j’ai su gagner et conserver cette confiance si importante. Ce ne fut pas toujours facile. Et j’ai grand mal à en refreiner une fierté certaine à ce sujet. Il y aurait certes matière à fanfaronner, un peu ivre d’autosatisfaction en se regardant nu dans le miroir le matin. Mais point d'épanchement. Rester sérieux et affecter la modestie. On ne sait pas bien qui lit ce genre de billet sur la toile...

Ces derniers temps, j’ai remarqué que les conditions de cette confiance se durcissaient. La générosité des préteurs et de ceux qui me gratifient d’un salaire s’assèche. Leur exigence devient outrageusement sévère. Aussi, comme je compte fermement rester dans la course et conserver ces prochaines années la confiance durement acquise, j’ai pour cette année une nouvelle idée particulièrement séduisante à proposer.

Je vais en effet innover en proposant de m’imposer un budget « en rupture ». En voilà une notion qui fait florès. Mais qu’est-ce qu’il entend par là ? Vous avez de la chance, je prends justement la plume pour vous l’expliquer.

L’idée conductrice est de passer au crible l’intégralité des postes de dépenses. Froidement. Car en matière d’argent, comme chacun sait, foin de sentiments. La froideur fait sérieux.

Premier poste, l’habitat. C’est fou ce qu’on s’embête avec cette affaire. On se projette, on s’identifie complètement à ces quelques mètres carrés dérisoires. On s’escagasse à trouver un chouette endroit. On passe sa vie à financer ce truc, alors que si on regarde bien, de quoi a-t-on vraiment besoin ? Un toit, un peu de chaleur, un bon lit et de quoi manger chaud ! Je proposerai une donc une coquette cabane dans une ravissante clairière. Avec des animaux sauvages qui viennent faire les curieux au jardin dans les brumes du matin.

Second poste, les transports. Vaste sujet. Si on lit ce qui se dit, on ne fait bien empapaouter avec cette affaire. Des avions, des trains, des voitures, des motos, des vélos… mais pour aller où ? Pour fuir quoi ? On doit pouvoir, là aussi, faire moins. Un vélo sobre, fonctionnel, avec un seul braquet bien choisi et une remorque doivent pouvoir assurer les besoins de déplacements de proximité.

Dernier poste pour l'exemple, les nanards numériques. Mais où est-on allé chercher tous ces trucs ? Quand on pense à tout le temps qu’on y perd, au pognon qu’on y consacre, ça fout le tournis ! Mon budget comprendra donc juste un ordi fixe avec une connexion simple. Ce poste pourra constituer à terme un gisement d’économies pour un exercice ultérieur. Il faut savoir se ménager des marges de progression...

Dans le courant de l’année, on procédera à la vente de l’excédent. Maison, voiture, tablette etc. généreront une recette non négligeable. Cette recette pourra alors être avantageusement mise à disposition d’éventuels emprunteurs. Je pourrai alors à mon tour examiner leurs propositions de budgets avec la plus bienveillante sévérité.

Prêteur plutôt qu’emprunteur. Pas bête.