• Les ficelles de la vie

    (Illustration avec l'aimable autorisation de reyboz.fr)

    De mon Pépé pêcheur, je pense avoir hérité un don pour démêler les ficelles. Je me souviens sa patience infinie à défaire les fils de ses lignes ou les pelotes de laine vilainement nouées de ma grand-mère. Je revois ses immenses doigts écartant les boucles et leur dextérité joyeuse face aux entrelacs serrés très fort. Il y avait aussi l’os de lapin taillé en aiguille - un outil réformé de son passage comme bourrelier pendant la drôle de guerre - qu’il forçait comme une pointe au cœur des nœuds les plus rétifs. Les mauvais esprits raillaient sa persévérance face à l’écheveau, qu’ils assimilaient stupidement à de la lenteur improductive. Il rendait pourtant service avec plaisir, était payé d’un sourire du cœur. Aux antipodes du spectaculaire, vouté sur son banc, il pouvait résoudre à longueur d’après-midi ce que d’autres avaient relégué au rang du problème sans intérêt, en sifflotant tout bas quelque gwerz de l’ancien temps.

    De ces longues heures en sa compagnie, apprenti béat de sa sapience, je pense avoir hérité d’une phobie des ficelles emmêlées. Petit déjà pour suivre son exemple, je me ruais sur tout ce que la vie me présentait d’enchevêtrements de fistrouilles en tout genre ; des suspentes de cerf-volant à la laisse du chien, des lacets de chaussures au vicieux élastique de Jokari, j’ai appris et je sais faire aussi. Assez bien.

    Le monde moderne m’a offert ces dernières années les cordons de chargeurs et les écouteurs auriculaires sur lesquels j’assouvis mon vice, et dont mon entourage me gratifie régulièrement. Qu’une boule de fils se présente et le brouhaha du monde s’arrête. Toute affaire cessante, il me faut m’y atteler, comme une misère qu’il me faudrait éradiquer prioritairement sur tout le reste. Un vrai handicap quand il faut respecter l’ordre des priorités qui me sont imposées !

    Dans un monde où les promoteurs de la paire de ciseaux de gauche ou de droite nous vantent à longueur de temps le tranchant de leurs solutions, il faut bien avouer que ma débilité fait tache. Bientôt je ne serai plus dans le coup question utilité productive. Il me restera alors l’air de la gwerz, que je pourrai fredonner de mémoire.


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